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Édouard Lanckriet, directeur de la stratégie et du développement chez Agrosolutions « Le CRCF va devenir un cadre macro »

Édouard Lanckriet (Agrosolutions) présente le futur cadre réglementaire européen pour la certification du carbone en agriculture. Le cabinet de conseil a été mandaté par la Commission européenne pour participer à sa construction.

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Un nouveau cadre réglementaire pour la certification du carbone (CRCF) est en train d’être instauré. En quoi consiste-t-il ?

Dans le cadre du Pacte vert (ensemble de lois de l’UE pour la transition écologique), la Commission européenne mise sur les technologies d’élimination du CO2 pour compenser les émissions résiduelles. Un outil central de ce dispositif est le cadre réglementaire pour la certification du carbone séquestré (CRCF).

Ce CRCF encadrera les activités de mesure et de certification du stockage du carbone. Son rôle est de valider les technologies d’élimination du CO2, d’établir des critères pour identifier les pratiques d’élimination de haute qualité, et de garantir la fiabilité et la transparence des projets à l’échelle européenne. Parmi ces absorptions de carbone « de qualité » se trouvent celles de l’agriculture bas-carbone. Pour être conformes, ces absorptions de carbone devront répondre à une série de critères, tels que la quantification selon des méthodes certifiées, l’additionnalité, le stockage à long terme et la durabilité (co-bénéfices environnementaux). Le CRCF met l’accent sur les obligations de suivi pour que le dispositif soit transparent et crédible, avec la création d’un registre public afin d’éviter le double comptage.

Quel est le rôle d’Agrosolutions dans l’élaboration du CRCF côté agricole ?

La Commission européenne veut déployer, d’ici 2026, un dispositif permettant aux agriculteurs européens de certifier le carbone séquestré dans les sols. Pour cela, elle doit s’appuyer sur une architecture digitale qui contiendra les dispositifs de mesure, de certification et de suivi du carbone stocké. Pour développer cet outil, elle a lancé un appel à projet dont InVivo – via Agrosolutions, Smag et BeApi – est lauréat.

Parmi les objectifs visés, sont concernés la réduction des temps de saisie et de collecte des données primaires nécessaires au bon fonctionnement d’outils de diagnostics carbone des exploitations, ainsi que l’automatisation de la production de ces données par images satellites, pour l’étude de la biomasse. À partir d’une même saisie de données, l’outil de diagnostic carbone produira l’ensemble des éléments qu’un agriculteur peut devoir communiquer pour ses activités certifiées bas-carbone (primes filières, crédits carbone, biocarburants). Il sera connecté à un registre parcellaire européen centralisé. Celui-ci garantira la transparence et la traçabilité des bénéfices climatiques calculés sur les parcelles en transition, et évitera tout risque de double comptage. Cette sorte de banque centrale des crédits carbone européens sera reliée à une place de marché digitalisée où les crédits pourront être mis en vente. Les premiers éléments de cette architecture pilote devraient voir le jour d’ici mai 2026.

En partenariat avec I4CE et Inrae, Agrosolutions réalise aussi des travaux sur le volet économique et politique du CRCF pour la simulation du coût de la transition bas-carbone. Le but sera de démontrer la nécessité d’un prix élevé du crédit carbone agricole pour la rémunération des agriculteurs. Enfin, la simulation de politiques publiques sera à l’étude pour financer cette transition. Et l’animation d’un club regroupant l’ensemble des parties prenantes (agriculteurs, distributeurs, développeurs de projets carbone et industriels) permettra aux acteurs de terrain de partager leurs retours.

Ce CRCF va-t-il reconnaître le label bas-carbone parmi les méthodes valides ?

Le CRCF va devenir un cadre macro. Et le label bas-carbone sera très certainement compatible… à quelques ajustements près. Le dispositif européen présente en effet deux différences majeures avec notre label bas-carbone. Tout d’abord, il calcule les absorptions de carbone à l’échelle de la parcelle, et non à l’échelle des systèmes de cultures d’une exploitation. Cette particularité lui permet de générer d’un côté des crédits carbone et de l’autre de réaliser le calcul des émissions indirectes (Scope 3), valorisables en primes filières et conformes au SBTi et GHG Protocole. Ensuite, le CRCF considère que le carbone stocké dans les sols via les pratiques agricoles est non permanent, tandis que le Label bas-carbone propose de garantir la permanence en intégrant un mécanisme de rabais statistique si les projets ne sont pas reconduits.

La Commission a donc fait le choix d’établir des crédits carbone temporaires, valables cinq ans. Cette proposition est assez osée car il n’existe pas aujourd’hui de marché pour ce type de crédits. Cela suppose l’organisation d’un nouveau modèle économique pour leur commercialisation. Ce qui est une très bonne chose car cela permettra de créer un marché solvable et à bon niveau de rémunération pour les agriculteurs.

Comment serait structuré ce marché européen des crédits carbone agricoles ?

Plusieurs pistes, à harmoniser avec la CSRD, le Green Deal et la directive Green Claim, sont explorées par la Commission européenne. L’une d’entre elles est l’instauration d’un marché européen du carbone obligatoire pour l’agriculture. L’ensemble des acteurs de la chaîne agricole, depuis les producteurs d’engrais jusqu’aux transformateurs, se verrait attribuer un quota de réduction d’émissions de GES. Et, en fonction de l’atteinte ou non de cet objectif, les acteurs pourraient compenser les émissions résiduelles via l’achat, aux agriculteurs, de crédits carbone européens.

Le CRCF servirait d’outil méthodologique pour la délivrance de certificats, utilisés dans le cadre de ce marché réglementé. Un fonds de garantie serait constitué pour assurer un certain volume d’achat initial et fixer le prix des crédits à un niveau incitatif pour les agriculteurs. L’application du CRCF devrait être effective dès fin 2026, pour la structuration d’un marché réglementé en 2030.

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Dans les méandres de la rémunération carbone

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